"Le Tonneau" a été publié (en 2013) chez Edilivre

Le Tonneau : Ces oulipiennes, de l’OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle), fondé par Queneau et par le mathématicien Le Lionnais, littérature sous contrainte, sont nées du tirage aléatoire d’une douzaine de mots. Ainsi, elle y évoque en toute liberté surveillée l’amour, la création, l’écrit, l’art, la nature, la mémoire…

Pour vous le faire découvrir, 4 textes vous sont proposés à la lecture et l'audio-lecture.


Pour les écouter (dits par Francis)


Le tonneau (1)       
Le tonneau (3)  
Le tonneau (13)
Le tonneau (14)

Pour les lire :



Le tonneau (1)
Le tonneau de l'Histoire est sans fond.
Son matériau est immémorial et intangible.
Il n'a rien du vide des yeux fardés des magazines, qui confine, non à l'infini, mais au néant.
Au contraire, il fut décrit dans un conte de Flaubert, dont le thème était la fraternité universelle.
Là, l'éternité résidait.
Elle côtoyait l'éphémère ambigu du mouvement.
Il se remplissait de chaque livre nouveau que les humains dédiaient à la magie du vivant.
Les penseurs étaient ses maîtres de chai.
Ils surveillaient la naissance d'un nouveau cru.
Leurs pieds foulaient un raisin dense.
Ils pressaient, sous leur corps, un fruit cramoisi.
Le fruit du destin ;
Du destin individuel et du destin cosmique.
Aucun frein ne ralentissait leur travail,
Leur sueur liait le moût.
Les fleurs de sa vigne n'étaient jamais fanées :
Elles repoussaient incessamment.
Et elles ressemblaient plus au réséda qu'à la rose, solides et champêtres, sans artifice.
Et l'Amour coulait le long de ses cerceaux, comme une sève de rubis.

Le tonneau (3)

A un moment donné, il faut faire le grand écart,
détruire ce à quoi l’on a cru appartenir
et cesser de reproduire
les schémas de notre dite prédestination.
Etre son propre homicide ;
servir une nouvelle existence
faite des influences diverses rencontrées dans la vie.
Savoir mettre un point. Le dernier.
Effacer l’été pour voir le printemps.
Alors l’incompréhensible jusque là sera saisi,
même si pendant longtemps le mystère reste impénétrable ;
voir les villes comme des campagnes surpeuplées.
Et enfin, enfin, marcher selon les pas de son odyssée. 

Le tonneau (13)

La quatorzième lettre de l’alphabet de cette langue inconnue
semblait être celle qui était propre
à hausser le ton ou à faire entendre sa voix.
C’était du moins une lettre qui permettait à l’imagination de s’envoler.
Avec un soin jaloux, le protolinguiste gardait cette découverte pour lui,
et ne la dévoilerait certainement pas au jeune stagiaire qu’il lui avait été donné de former.
La calligraphie de cette lettre était belle comme un jour d’hiver, aux frimas de février,
où la glace contraste avec les nuages sombres et de plomb,
où la nature est immobile, sauf si on l’observe de très près.
Tout ce que l’homme avait compris
Paraissait contenu dans ce chiffre magique où étaient fichés, enfoncés, tous les sens de tous les mots des langues.
Et ces découvertes achevaient de l’illuminer
sans qu’il prît la distance nécessaire à toute recherche scientifique.
Il y avait retrouvé le miroir du monde.

Le tonneau (14)

De l’avis général, l’île était improductive,
en tout cas pas apte à fournir l’image du travail.
Elle était plus propice au farniente sur des literies de palmes
qu’aux productions humaines génératrices de sueur.
Par contre, de nombreuses légendes cosmologiques circulaient à son sujet.
Et Saint-Martin en était l’origine et le centre.
On utilisait des navettes
pour le ravitaillement en denrées alimentaires tel l’artichaut.
Mais, de centre de la création, l’île s’était peu à peu dépeuplée
de ses animaux les plus exotiques :
l’hippopotame par exemple, avait disparu,
ou encore le manchot polaire, qui égayait jadis l’île.
Et la richesse des habitants était passée d’une abondance luxuriante à la portion congrue de picotin.